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Debout, derrière l'immense rideau de 30 pieds de haut de la scène de Radio-Canada à Montréal, j'attends, fébrile, que cette porte (Les professionnels l'appellent le quatrième mur. Il faut dire que c'est le mur le plus difficile à "traverser".) mystérieuse s'ouvre pour me permettre de donner mon premier « punch » comme je l'appelais, façon de briser la glace ainsi que le trac qui me déchirait littéralement le corps. Jamais compris pourquoi ces pères m'ont fait tellement confiance. Je n'avais jamais joué avant. C'était la première fois. Et de l'autre côté de ce rideau, rouge vin, les éclairages qui commençaient à s'ajuster avec cette équipe d'éclairagistes cachés, tous en petite tenue, tellement les rhéostats dégageaient une chaleur insoutenable. Ces appareils, dont le rôle était l'ajustement de la force des éclairages sur la scène. Et dans la grande salle, 1200 personnes. Tous les élèves du collège et des parents et du public. À l'époque, St-Laurent avait la plus grande scène et la seule scène tournante au Canada, de quoi donner des vertiges à n'importe quel artiste, pro. ou amateur. Nous avions, dans le temps, une scène, directement commandée de New York. Nous n'avions rien à envier aux Américains, sauf Broodway. Le père Leduc, debout, pas très loin de moi m'entretenait de mots pour me calmer et n'arrêtait pas de dire que j'allais être très bon. C'est lui qui m'avait pratiqué en partie. Oui, notre scène venait de Broadway, tout ce qu'il faut pour me donner davantage un trac fou. Démarrer une pièce, c'est comme amorcer un plongeon. La pleine confiance doit nous envahir dès le début de celui-ci. On m'avait bien averti qu'à la levée du rideau, je ne verrais personne. La force des éclairages m'empêchant de voir quiconque. Ces bons pères, quelles expériences uniques ils m'ont fait vivre. Ils m'aimaient, je n'en doute plus maintenant. J'ai enterré mon dernier « père » presque moi-même, tout seul. Un vrai papa. Le père Arbour. Me comblait de cadeaux.

Et subitement, le premier coup de bâton donné sur le plancher de la scène, annonce le début pour tout le monde, la salle et l'arrière-scène. C'est un départ. Deuxième coup. Je prends mon souffle et je me sens déjà devenir comique. Troisième coup. L'orchestre, dans la cage de l'orchestre qui joue, les éclairages, et cet immense rideau qui peut vous casser une jambe si en s'ouvrant, vous êtes sur son chemin. Et les applaudissements, dès le début, quelle gentillesse. Et je me mets à crier, parler, gesticuler. C'est un tonnerre d'applaudissements et de rires. Oui, y fallait être fou, mais j'étais comique et j'avais une voix extraordinaire qui portait parfaitement. On nous enseignait à « cracher dans le masque » comme qu'on disait. J'en « crachais » tout un coup. Et ces premiers rires furent le réel démarreur de mon enthousiasme. Je savais que je venais « d'avoir » ma salle, car, dans tout ça, il y a beaucoup de séduction. Et je voyais tout ce monde dans les coulisses qui me regardait et qui m'envoyait des « bécaux » etc. Je me sentais aimé. Il ne fallait pas que je me fasse distraire, sinon, j'aurais eu les larmes aux yeux. Pas question. Il fallait jouer. « The show must go on! »

Et avant tout cela, la fameuse salle de maquillage qui faisait la réputation de St-Laurent. Une dizaine de chaises, style chaises de barbier, en deux rangées et les miroirs et les lumières autour. Tout comme à Hollywood. Et devinez. Je m'assoyais en tenue légère et tout à coup, surprise, on m'inondait de poudre blanche qui faisait disparaître tous mes traits. Sur l'instant, je m'appelais "personne" et progressivement, les maquilleurs, maquilleuses y ajoutaient des traits qui me rendaient le personnage que je devais être. La première fois qu'on me fit le coup, je ne savais vraiment pas comment on allait me refaire une figure. À deux, trois maquilleurs, maquilleuses à la fois, mon personnage prenait vie très rapidement. C'est le père Leduc qui dirigeait les opérations. Spécialiste dans le domaine et bien d'autres. Architecte, ingénieur, spécialiste en scénographie s'occupait de commander les costumes à New York, Paris et Londres. Nous avions des robes de bal conservées dans des écrins tels de gros violons d'orchestre. Tout ce qu'il fallait pour impressionner le jeune ado. que j'étais. Quelle merveille! Je me rendis saluer Gratien Gélinas pour lui apporter quelque chose. Surprise, le père Leduc était là, à discuter des décors de la fameuse comédie musicale de Broadway, Hair, ou la moitié des personnages étaient nus. C'était presque la révolution à Montréal. On se demandait comment les autorités allaient réagir. Il n'y eut rien. Tout le monde qui voulait protester avait compris qu'ils n'avaient plus le vent de leur bord.C'était la « Révolution tranquille », pas toujours si tranquille. Le père Leduc fut aussi responsable de la sonorisation de la salle Wilfrid-Pelletier, de la Place des Arts. C'est lui qui compléta aussi les travaux de l'oratoire St-Joseph à la demande expresse du pape en personne, car la chicane était « pognée » chez les bons pères qui ne s'entendaient pas sur le comment terminer les travaux et le père Leduc, qui de son côté, était scandalisé de toutes les bavures qu'il y avait eues.(Secret d'État! Personne n'a jamais su ça.) Merci, à genoux, mes bons papas et mamans cachées, les bonnes sœurs, pour avoir tant pris soin de moi.

Et la pièce se termina dans un tonnerre d'applaudissements. Bien certain qu'une pièce de théâtre à St-Laurent c'était comme un partie de hockey, tout le monde devait être là pour encourager les leurs. Une manie que les gars du hockey avait prise après m'avoir ramassé dans le coma. À la fin d'un événement, pour me remercier, on m'embrassait par l'arrière, sur le cou. Cet événement dramatique nous avait tous rendus, frères...d'armes. C'était vraiment tous pour un et un pour tous. J'ai dernièrement parlé à mon grand Georges. M'a téléphoné le matin et j'entendais un bruit qui faisait waw waw waw waw. J'ai dit, c'est qui l'animal qui est au téléphone? Et la grosse voix m'a répondu, "C'est Georges, Georges Brossard." "Comment ça va mon Richard?" "T'es dont fin mon Georges! T'es dont fin! Tu ne changeras pas. Toujours généreux, mon Georges des papillons, de l'Insectarium! Tous des cadeaux que tu nous as donnés.  Nous sommes frères pour l'éternité. Je te serre fort mon Georges. On doit se voir prochainement. Incroyable. 62 ans plus tard! Oui, frères pour l'éternité.